Polyvalence ou ambivalence du psychologue en soins palliatifs (Première partie)

Publié le par Kyrillos

Intervenant au cœur de situations mettant en jeu des sujets confrontés à la maladie et la fin de vie, le psychologue en soins palliatifs met en place un cadre d’intervention spécifique en marge des pratiques de psychothérapie ou de tout autre type de médiation psychologique. La prise en charge des patients en fin de vie, de leurs proches et parfois conjointement  des équipes de soins confronte le psychologue à un questionnement éthique sur la validité et l’utilité de sa pratique, l’oblige à cerner le déplacement possible de sa place de polyvalente à ambivalente. A un moment où les processus mortifères de désorganisation physiques et psychiques rendent très difficiles toute élaboration du traumatisme engendré par la maladie, le psychologue est pourtant souvent convoqué dans un dispositif palliatif, dans lequel la mort est inéluctable. Dans certains cas, la question d’une intervention psychologique n’est posée que tardivement, ne permettant pas au patient d’instaurer une relation transférentielle avec le psychologue, dans d’autres cas, cette dernière, par défaut d’élaboration préalable fera effraction dans la sphère de l’intime et du privé d’un patient déjà en grande souffrance ; dérive évoquée par le psychanalyste Robert Higgins dans la revue Esprits « les  psys , mobilisés au chevet du mourant peuvent apparaître à un autre niveau, plus fondamental, comme les préposés à la privatisation de la mort, comme des instruments essentiels dans l’opération de conversion de la mort en un problème psychologique et une affaire privée ». [1]

 

Nombre de patients pourtant motivés par l’entourage ou l’équipe soignante vont refuser une prise en charge psychologique qui n’aura selon eux aucun bénéfice compte tenu de leur mort prochaine. D’autres patients mettront en jeu des représentations défensives associées classiquement à l’intervention d’un « psy », objet anxiogène, associé alors notamment à l’idée de folie.

 

 

Dans un tout premier lieu, la pratique du psychologue le renvoie donc à une indispensable collaboration avec une équipe de soins d’une part et une équipe de soins palliatifs d’autre part, que ce soit en unité, équipe mobile ou réseau, afin que son aide ne soit pas vécue comme intrusive pour le patient. La proximité réelle et fantasmatique de la mort va alors interroger une certaine redéfinition de cette intervention du psychologue, en apparence plus restreinte du point de vue temporel mais tout aussi utile au regard du soulagement évoqué par les patients. Les modalités pratiques d’intervention ainsi que le cadre thérapeutique du psychologue correspondent ici à la définition même des soins palliatifs qui n’est plus de guérir le patient mais de lui apporter un soulagement de sa souffrance, envisagée depuis Cicely Saunders de manière globale. La mort, omniprésente tant dans les chambres que dans le discours des différents acteurs de la situation de soins palliatifs (patients, proches, soignants) est envisagée ici par toute l’équipe dans un positionnement très ambivalent, à mi-chemin entre processus naturel et réalité pathogène et induirait une souffrance à tous les niveaux de lecture de l’être humain. Pour faire face à ses souffrances si envahissantes, l’équipe va recourir à un grand nombre de professionnels intervenant dans le cadre de dispositifs simplement pluridisciplinaires ou plus ciblés puisque interdisciplinaires. L’interdisciplinarité, en matière de prise en charge globale, pouvant être définit comme « un dialogue et l'échange de connaissances, d'analyses, de méthodes entre deux ou plusieurs disciplines. Elle implique qu'il y ait des interactions et un enrichissement mutuel entre plusieurs spécialistes »[2]. Cette nécessaire collaboration avec des acteurs du champs médical va rapidement aboutir en soins palliatifs à l’élaboration de savoirs communs, à la mise en place de dispositifs d’intervention conjoints mais aussi à la création implicite d’un champs de référentiels communs aux différents membres de cette équipe.

 

 

Pour illustrer cette idée, nous évoquerons tout d’abord l’exemple des entretiens en binôme (médico-psychologiques ou paramédico-psychologiques) qui concernent bon nombre d’équipes de soins palliatifs. Ces dispositifs, à mi-chemin entre acte médical et consultation psychologique peuvent constituer un véritable outil dans la relation au patient : nous en définirons les avantages et les inconvénients. Nous montrerons en quoi cet outil peut être entendu par l’équipe de soins comme un outil diagnostic. Dans un second temps, nous évoquerons une des conséquences du travail en commun du psychologue avec le monde médical : la mise en place de représentations de l’intervention psychologique l’assimilant à un acte infirmier ou médical permettant de soulager un symptôme. La relation entre le psychologue et le patient sera entendue ici par l’équipe médicale comme un processus d’analgésie psychique soulageant l’angoisse, au même niveau qu’un antalgique soulage la douleur. Sur ce parallélisme, se base une définition implicite de la relation d’aide psychologique en soins palliatifs, dans une démarche qui ne sera plus ici vécue comme diagnostique pour le médecin et l’équipe du patient mais prescriptive, au même titre que celle d’autres intervenants transversaux (kinésithérapeute, orthophoniste, diététicien, etc…).

 

 

En associant, volontairement ou non, sa pratique à un dispositif commun : diagnostic puis prescriptif, le psychologue répond aux nécessités d’une approche interdisciplinaire de la situation palliative, même si la relation de nature psychothérapique permettra de dépasser ce paradigme initial et d’affranchir la pratique du psychologue auprès du patient, d’un tiers médical prescripteur. En effet, il est à rappeler l’engagement déontologique des psychologues en faveur du libre accès des usagers à leur pratique « Il n'intervient qu'avec le consentement libre et éclairé des personnes concernées. Réciproquement, toute personne doit pouvoir s'adresser directement et librement à un psychologue »[3]

 

 

L’entretien en binôme dans la relation d’aide en soins palliatifs.

 

Lorsqu’un service de soins dans lequel est hospitalisé un patient fait appel à une équipe de soins palliatifs, une unité ou un réseau, elle sollicite toujours l’intervention de professionnels dans le but de soulager un ou des symptômes. Venant de la part de soignants, cette demande se fera donc sur la base d’un schéma en trois temps (données, actions, résultats) : schéma auquel s’ajoute une indispensable réévaluation des symptômes à traiter. On est donc ici dans une objectivation du symptôme qui cadre mal avec la souffrance psychologique pouvant être engendrée par une maladie évolutive. Néanmoins, l’intervention du psychologue pourra s’accommoder de ce problème de définition et pourra prendre place, lors d’un premier entretien par exemple, dans le cadre d’une collaboration avec le médecin ou l’infirmier de l’équipe. On parlera alors de relation d’aide interdisciplinaire prenant la forme d’un entretien en binôme. Cet entretien, réalisé le plus souvent au lit du patient permettra d’évaluer de manière détaillée, l’ensemble de ses difficultés et les demandes qu’il va y associer. Lorsque ce dernier est efficient, le binôme permet de potentialiser l’intervention isolée d’un infirmier, d’un médecin ou d’un psychologue. A l‘inverse, il peut aboutir à l’effacement d’un professionnel au profit de son collègue. Nous présentons ici un tableau qui résume l’ensemble des avantages et des inconvénients de ce dispositif. (Tableau I).

 

 

Dans la plupart des cas, l’intervention en binôme s’organise autour de deux professionnels de l’équipe de soins palliatifs dont l’un est médical ou paramédical et l’autre psychologue, même si l’existence chez ces professionnels de compétences relationnelles permet d’autres montages. Dès lors, l’entretien se déroule selon un schéma travaillé au préalable pour éviter tout chevauchement et perte d’efficacité. Dans la plupart des cas, on reconnaît quatre étapes (préparation, présentation des objectifs, évaluation des symptômes et proposition de suivi). (Tableau II)

 

 

Cet outil demande donc rigueur, complicité professionnelle et mise en œuvre de capacités d’écoute qui s’ouvrent au-delà du patient et de ses proches vers l’autre professionnel. Même s’il demande beaucoup de temps, ce dispositif plus économique en moyens mais aussi pour la parole du patient n’est bien sûr qu’une étape préliminaire à une prise en charge individualisée du psychologue notamment mais il constitue une collaboration adaptée au mode d’intervention en soins palliatifs. Une vignette clinique tirée de notre pratique en soins palliatifs permet de mettre en évidence cette articulation entre un entretien en binôme (premier entretien) et une prise en charge psychologique individuelle (poursuite de l’aide apportée au patient). (Tableau III).

 



[1] Higgins R. L’invention du mourant, violence de la mort pacifiée. Esprit 2003 ; 1 : 139-41

[2] Morin E. Sur l'interdisciplinarité. Bulletin Interactif du Centre International de Recherches et Études transdisciplinaires.2. Paris. 1994.

[3] Code de déontologie de psychologues, Titre I-1, Respect des droits de la personne, 22 mars 1996

Publié dans Mr.L - psychologue

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