730 tours de montre

Publié le par Kyrillos

Lâcher prise, abandonner, tout envoyer balader et aller dormir. Je suis plus que fatigué, je suis exténué. Je voudrais dormir, enfin, oublier ce téléphone qui me sert de réveil. L'ambiance est devenue délétère dans ce petit hôpital de province. La motivation n'est plus présente que chez certains jeunes employés qui seront dans peu de temps aspirés par la bouche dévorante de la surcharge de travail. Les patients sont de plus en plus nombreux et le personnel manque. Hier encore, j'allais avec entrain rejoindre mon bureau, mon café, mon courrier puis ma journée de travail : toujours dans cet ordre, imprescriptible et immuable comme un rite mystérieux. Aujourd'hui ou plutôt ce soir, je voudrais m'en aller pour de bon ou avancer d'un mois ma montre : 6O tours de montre me séparent de mes vacances, de mon mariage, de ma nouvelle vie. Ce qui m'anesthésie, me rend insensible, c'est l'absence de mon bébé. Un an que ça dure, que nous sommes séparés " pour raison professionnelle ". Tu parles, ça paraissait faisable sur le papier, se séparer un an pour que je m'installe dans mon boulot et que de son côté, Vicky assume jusqu'au bout ses engagements professionnels. Je les déteste ces engagements, je les déteste ces cours. Pendant, cette année, je suis passé par toutes les phases de l'euphorie à l'obscurité, de la joie à la blessure. J'en ai ras le bol de toutes ces paroles de réconfort : " ça va venir vite ! " : mais qu'est-ce qu'ils en savent eux. Ils sont pas à ma place, celle du type qui attends bien patiemment son heure, notre heure, depuis plus de six ans. Les cinq premières années, c'est sûr, j'ai été nul, on aurait pu tout vivre, tout faire, tout partager à 2 puis à 3. J'aurais pu aussi tout plaquer, filer à l'anglaise ou plutôt à la grecque et la rejoindre à Athènes. Mais voilà, le petit trésor s'est envolé, mon petit bonhomme de frère s'est évanoui trop vite, sur cette petite route de campagne qui le ramenait à la maison. Après, c'était plus possible, je pouvais plus larguer les amarres et laisser le bateau de la famille ballotté par cette mer de larmes, de colère, de silence. A défaut de l'avoir dit à mon petit Ludo, à défaut de pouvoir le dire à mes parents, qui ne liront sûrement jamais ce petit texte, je le dis à moi-même ou du moins à des lecteurs inconnus : Milady, Salomé, Piclune : ces noms me sont totalement inconnus mais j'ai aimé les messages qu'ils ont laissé à mon premier petit texte parodique sur cette fameuse bille. Je ne les connais pas mais j'aime être caché derrière mon écran à les observer, les lire mais aussi les voir se répondre par messages interposés. En tout cas, que personne ne me dise qu'écrire ne soulage pas, je me sens déjà un peu mieux, dégagé de toute notion de qualité , je cogne les touches de mon clavier et aligne les mots sans même les relire. Je m'en fous de toute façon, je vais peut être envoyer ce texte, peut-être pas. Je dis ça et en même temps, je suis sûr qu'il me faut le faire, qu'il me faut encore un petit mot de ces petits téméraires.
Bon, il va quand même bien falloir relire tout ça et arrêter de me lamenter : c'est pas mon genre ou du moins, ça ne l'était pas avant. Il faut positiver me dirait mon psy : ok positivons. Dans 60 tours de montre, je serais dans un avion, dans quelques tours suivants, avec ma chérie, en train de la serrer, de la sentir, de la cerner. Après c'est sûr, je ne la laisserais jamais. Encore 70 tours de montre et je serais dans cette fameuse église : avec une couronne sur la tête et une alliance au doigt. Une alliance en or, bien sûr, comme les médailles, les prix, les récompenses. La mienne, c'est Vicky et je m'en vanterai chaque jour que Dieu fait . elle vaut toute cette attente, toute cette fatigue passagère, toute cette lassitude de ce soir.
Elle vaut bien 730 tours de montre.
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